Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Paris…

26 mai 2006

Hypodermophobie

Posté dans : le Reste, par Dave A. à 3:10

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Je n’aime pas, mais alors pas du tout, les aiguilles.

Comme phobie, c’est plutôt commun, mais chez moi c’est profondément enraciné: essayez un jour de faire votre injection d’insuline devant moi pour voir…

Bien que fervent candidat au don d’organe sur le principe (après ma mort de préférence, pas durant un voyage en Amérique du Sud), je fuis les collectes de sang comme un vampire anémique: je suis prêt à donner l’intégralité de mes plaquettes à la Croix Rouge, dés qu’ils auront trouvé un moyen de les prélever sans introduire une aiguille sous mon cuir cutané.

Ça date d’aussi loin que je me souvienne et ça me poussait à une époque à disparaître de la maison le temps nécessaire à ce que tous les vaccins en attente dans le frigo de la cuisine soient amplement périmés (les joies de la médecine en famille). Je soupçonne d’ailleurs mes chers géniteurs d’avoir toujours trouvé une certaine consolation dans le fait qu’une toxicomanie à l’héroïne soit très tôt écartée des scénarios possibles de mon inévitable rébellion post-adolescente.

Il est bon de le rappeler, la phobie est une peur irrationnelle, à laquelle il est par définition absurde de chercher une cause raisonnable. La peur des araignées venimeuses, par exemple, n’est pas généralement ce qu’il est tenu d’appeler une phobie si vous êtes en train de planter votre tente sur le bord du Maroni. Si vous habitez avenue Foch et ne comptez aucun terrariophile amateur parmi vos voisins, c’est plus discutable.

A condition de considérer qu’il puisse s’agir d’une réaction à certain traumatisme enfoui dans ma psyché et non d’un déplacement de représentation freudienne, on pourrait en effet noter le nombre particulièrement élevé de fois où je me suis retrouvé du mauvais coté d’une seringue. Mais je ne suis pas convaincu que ce soit aussi simple que ça.

Comme mes tempes prématurément grisonnantes peuvent en témoigner (une mèche blanche par anésthésie, il parait), j’ai respiré à peu près autant de gaz qu’un colvert migrateur se baladant du coté d’Ypres en 1917. Ça ne m’a jamais tellement dérangé, si ce n’est une courte période de mon enfance où il fallait la moitié de l’hôpital pour m’assujettir à la table pendant qu’un pauvre anesthésiste maintenait son équipement sur mon visage en tentant de me dissuader de tenter un nouveau record en apnée. Aussi quelques années plus tard: passer mes dernières seconde de conscience déjà embrumée par le gaz, tétanisé mais pas encore parti, à entendre l’infirmière rater bruyamment son intra-veineuse une demi-douzaine de fois, me réveiller avec le bras constellé de preuves qu’il ne s’agissait pas d’une hallucination auditive… Pas aussi hilarant qu’il n’y parait a posteriori.

Pourtant, pas de séquelles psychologiques grave: je ne tourne pas de l’oeil à la vue d’un matériel de plongée sous-marine.

Contrairement à certains, je garde plutôt des bons souvenirs du personnel soignant des hôpitaux. En fait, mes séjours eux-mêmes ne m’ont jamais apparu franchement difficiles, si ce n’est par la proximité des autres patients, parfois de mon âge, souvent beaucoup plus jeunes. J’ai bien eu des réveils difficile, une aiguille scotchée à la peau et la sensation intolérable qu’elle remue dans mes chairs à chaque fois que je bouge un bras: mais avec un petit supplément de potion magique dans mon IV, même moi j’arrive à ne plus y penser, quitte à passer le reste de la nuit en plein délire morphinique à raconter ma vie à des inconnues en blouse blanche. En revanche, les souvenirs de gamins qui traînent de lugubres porte-manteaux derrière eux pour aller jouer aux petites voitures, de bébés endormis, seuls au milieu de chambres aseptisés, ligotés au berceau à cause des cathéters qu’on leur a branché là où on pouvait, ça ne m’a pas lâché depuis.

A ceux tentés de suggérer que j’ai juste l’âme un peu sensible, comme le démontrent mes angoisses aichmophobiques, une mise au point s’impose: certes, je lacère les accoudoirs de fauteuil à la moindre scène d’injection cinématographique, mais ça s’arrête là. Pour le reste du folklore médical (éviscération, trépanation, découpage en rondelles etc.), je crois même pouvoir me targuer d’un seuil de tolérance visuelle un peu au dessus de la moyenne. Bien malgré moi, je vous l’assure:

Parmi les devoirs du père envers son fils, nous enseigne le Talmud, se trouve celui de lui apprendre à nager. Ça, et une saine crainte du châtiment divin. On sait jamais, ça peut servir.

Evidemment, quand le fils nage déjà comme un dauphin malgache, tandis que le père, lui, se méfierait plutôt des vagues, il faut bien trouver autre chose pour se rendre utile.

Mon père, fort raisonnablement, s’était dit que, à défaut de sauver ma peau, la capacité à sauver celle des autres (essayer, en tout cas), ne pourrait que me rendre plus mariable, le jour venu. Voyant dans ses occupations de médecin secouriste bénévole de l’époque une fenêtre d’opportunité qu’il eut été imprudent de laisser passer, fut-ce pour attendre un âge quelque peu plus mature, il entreprit aussitôt de me faire profiter d’un cours de terrain en anatomie urgentiste.

C’est amusant: malgré la récente surenchères dans les programmes télévisés rivalisant de réalisme médical sanguinolent, il subsiste toujours d’infimes détails qui manquent pour évoquer parfaitement les souvenirs pourtant assez vagues que je garde de cette époque. Par exemple, après une cricotomie de campagne, on entend assez distinctement le chuintement de l’air qui passe. Mais d’un autre coté, on s’y attendrait un peu. En revanche, les dents qu’on brise au marteau pour essayer de dégager les voies respiratoires manuellement (avant de tenter l’incision), ça ne fait pas tant de bruit que ça. Pour la couleur: un sportif de 120 kilos qui a avalé sa langue, c’est d’un joli mauve tirant sur le bleu, généralement. Tout le monde, ou presque, sait qu’une bonne réanimation de premier secours ne se fait pas sans casser quelques côtes. Moins de gens ont eut la joie de profiter de l’étape suivante (défibrillateur mis-à-part) qui redonne tout son sens aux mots « massage cardiaque », et après laquelle il est dur d’imaginer le coeur humain comme autre chose qu’une grosse pompe à matelas enveloppée dans quelques couches de trucs dégoulinants.

Donc voilà, malgré mes petits tics hospitophobes, il faut généralement plus que quelques modèles en résines baignant dans de l’hémoglobine de supermarché (30% miel du pays, 70% eau, avec une bonne dose de colorant rouge) pour voir la couleur de mon petit-déjeuner. Quant à ces merveilleuses heures d’activités en famille, hélas elles ont surtout servi à me faire réaliser dés le plus jeune âge que, si vous allez avoir un arrêt cardiaque avec moi, il vaut mieux pour vous que ce soit dans un rayon de 100 mètres autour de l’Hôtel-Dieu. Parce qu’à part introduire vos orteils dans la prise de courant la plus proche où vous adosser à un paratonnerre en priant pour un orage, je ne pense pas qu’il faille compter sur moi pour le moindre geste de réanimation traditionnelle.

3 Comments »

  1. […] J’ai alors compris qu’elle était l’autre point d’inconfort qui participait à ce gâchage de nuit chaude (non, l’autre “chaude”): gné vaccins. J’ai trouvé un médecin capable de me faire deux vaccins en moins de quinze secondes sans même que je réalise qu’il s’était approché. On peut parler de main douce. Dans mon cas, c’est pas un luxe, je vais pas vous refaire le coup de l’hypodermophobie, mais vous pourrez considérer qu’il y a de ça. […]

    Ping by Triton Corsaire » Blog Archive » Il en faudra plus… — 22 juillet 2006 @ 3:22

  2. […] L’hôpital. Quand j’étais petit, je voyais des gens en blouse blanche partout. Toujours de temps en temps. Mais ça va mieux, je me soigne. […]

    Ping by L’Automne à Paris » Au programme — 26 janvier 2007 @ 1:18

  3. […] c’est à l’approche des 20 ans, à force d’écouter mes vieux amis en blouse blanche et leurs prévisions vagues, changeantes et aussi précises que Météo France au mois […]

    Ping by L’Automne à Paris » Trente — 29 octobre 2010 @ 4:02

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et ignotas animum dimittit in artes